Escapade à la Girotte

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Escapade à la Girotte

Le barrage de la Girotte situé tout au sommet de la vallée d'Hauteluce est un monument. Par sa forme mais aussi son histoire, il témoigne du passé mouvementé de notre région pendant la guerre. Accessible par le chemin de la Turne, après une heure de marche il vous fera découvrir un endroit exceptionnel. Retrouvez ci-dessous un extrait de texte publié par Franck PICCARD à son sujet.

Le château fort.

En un éclair, à la sortie du chemin qui serpentait dans la forêt, il est là devant vous. Surgit de nulle part, un mur vous fait face comme une chaîne de donjon et de tourelles infranchissable. Des créneaux de béton déchirent le ciel, des voutes multiples barrent l’horizon, des tours de guets silencieuses et inquiétantes semblent vous épier pauvres petits humains.

Dans le silence de quelques gouttes d’eau échappées des micro-fissures de calcaire, la citadelle imprenable surplombe la vallée endormie. Un voile de brouillard et de fumée s’étale en une couche légère et opaque qui vient lécher le pied des remparts. En contrebas, dans les pentes et les escarpes, une forêt d’épicéas en uniforme siège patiemment.

Entre les profondes douves de l’ouvrage et le ravin, on s’avance à pas feutrés sur un parterre d’herbes rases qui recouvrent des rails de chemin fer complètement rouillés. La voie longe le front jusqu’au terminus, sur les contreforts de rochers mis à nu. Des essieux de wagonnets encore plus rouillés témoignent d’une activité et d’une présence humaine aujourd’hui totalement disparue. Sur le même registre, une petite cabine de téléphérique grises et bleu poussière attend ses passagers depuis les années 40. Soutenus par quelques pylônes avachis, les câbles porteurs plongent dans la vallée comme un pont-levis vers le pays d’en bas.  Flanqué à une tour, une grue me fait penser à un trébuchet qui aurait porté sans succès l’assaut de ce château fort des montagnes. Ici, on a toujours l’impression qu’une bataille vient d’avoir lieu, comme si un siège n’était jamais venu à bout de ce monstre de béton.

Une chaussée en épingle s’élève sur le côté du mur d’enceinte et permet de prendre de la hauteur. En quelques paliers d’ascension, on dépasse la herse qui dissuade fermement les visiteurs d’accéder au chemin de ronde pour arriver enfin sur une butte dégagée et embrasser d’un seul regard toute la scène.

Solidement campé dans son verrou glaciaire, blotti en pleine altitude, là où seul le minéral subsiste, cette sorte de ligne Maginot parfaitement étanche ferme de toute sa masse un cirque naturel. Les courtines arrondies amènent une esthétique incroyablement douce mais derrière l‘épaisse maçonnerie de guerre, dans un immense reflet miroitant les sommets de neige et le ciel, sage comme une image, 50 millions de mètres cubes d’une eau turquoise sont retenus prisonniers.

Erigé dans le tumulte de la dernière guerre mondiale par la force des bras réfractaires au STO et par ceux qui cherchaient à se faire oublier des régimes totalitaires, le barrage hydroélectrique bloque le passage depuis soixante-dix ans. En réalité, ce château d’eau existe depuis bien plus longtemps. La légende dit qu’il enfoui ses secrets dans des geôles à plus de 130 mètres de profondeur. Il y enfermerait des dragons et des truites de plus d’un mètre, mais aussi des histoires de sorcier et de protestants vaudois. Plus certainement, il a couvert des moments pas très catholiques et a camouflé les résistants de la Compagnie du Lac dont les combats ont résonné au-delà du Rocher des Enclaves et du col de la fenêtre.

Depuis la guerre, sa bannière de camp de travail a été remplacée par la sirène d’alerte en forme de corne de brume et il remplit sa mission pour fabriquer de la houille blanche. L’eau qu’il est allé capter par d’interminables galeries secrètes jusqu’au massif du Mont Blanc est débarquées en furie directement au bout du lac dans cette geôle à ciel ouvert. Depuis leur guérite électronique les matons régentent et contrôlent le débit sans faille de ce flux venu du glacier de Tré la Tête puis les envoie à marche forcée jusqu’à la centrale hydroélectrique de Belleville par deux conduites qui ressemblent à deux veines aortes branchées directement sur un cerveau. Précipités du haut des cinq cents mètres de dénivelé, les millions de mètres cubes sous pression crachent les mégawatts sans fumée. Turbiné, usinée, l’eau reprend doucement son chemin, alors que là-haut le barrage accueille les nouveaux arrivants pour ce cycle sans fin. F.PICCARD Petites chroniques d'un champion olympique.

La référence du livre.